Voilà une expérience assez incroyable que j’ai eu la chance de vivre à plusieurs reprises depuis que je vis en Finlande une partie de l’année. Le marquage des rennes en Laponie a lieu chaque année entre fin juin et début juillet. Selon le lieu, les dates sont plus ou moins différentes car tout dépend de la météo.
Vivre le marquage des rennes n’est pas donné à tout le monde, c’est un événement plutôt fermé, qui se réalise souvent en famille et avec les amis proches. J’ai la chance d’être très liée à une famille Same que l’on a rencontré à notre arrivée en Laponie. Nous faisons presque parti de la famille. Jérôme et moi sommes même parrain / marraine d’un des enfants, c’est dire !
Nous sommes donc très chanceux de pouvoir vivre ce moment important de l’année avec eux et d’apporter notre aide à toutes les étapes du marquage.
Je parle ici de mon expérience et de mes connaissances. Il se peut que le marquage se fasse différemment dans d’autres familles et d’autres endroits (comme en Laponie suédoise ou norvégienne).
Mes amis possèdent un troupeau de rennes important. Le troupeau est donc composé de rennes appartenant à plusieurs propriétaires d’une même famille. Chaque éleveur a une marque unique pour identifier ses rennes.
En quoi consiste le marquage des rennes ?
Vous ne le savez peut-être pas mais les rennes en Laponie appartiennent presque tous à des éleveurs. Ils vivent pour la plupart en liberté sur des territoires définis.
Des rennes en danger
Avec le changement climatique et les clôtures qui délimitent chaque territoire, certains éleveurs font désormais le choix de garder leurs rennes dans un enclos l’hiver car leur survie dans la nature devient de plus en plus compliquée. En effet, les clôtures délimitant chaque territoire empêchent les troupeaux plus au sud de remonter dans la toundra où le vent souffle et la neige ne s’accumule pas comme dans la foret (au sud). En restant dans la forêt, les rennes ne peuvent donc pas sentir, creuser et atteindre leur nourriture au sol (lichen principalement).
Le réchauffement climatique a également un impact. Les variations importantes de températures durant l’hiver engendrent des redoux qui amènent la pluie (au lieu de la neige) et/ou font fondre la neige. On voit alors des couches de glace se former sous la neige qui emprisonne la nourriture.
Pour identifier les rennes et savoir à qui ils appartiennent, les éleveurs les marquent lorsqu’ils sont encore petits (généralement à l’âge de 1 mois et demi, 2 mois) en coupant un motif dans chaque oreille. Ce motif peut être symétrique ou asymétrique. Chaque éleveur a sa propre marque, c’est comme une signature unique. Les marques sont toutes déclarées et validées auprès d’un service du pays.
Grâce à cette marque, les éleveurs peuvent alors identifier leurs rennes simplement en les observant. Personnellement, quand je vois un renne, je n’arrive pas du tout à reconnaître une marque d’une autre. Question d’habitude je pense !
La marque est utile également pour d’autres raisons :
- En cas de vol de rennes (ça arrive)
- En cas d’accident sur la route avec un véhicule. Si le propriétaire est identifié grâce à la marque, il pourra ainsi être indemnisé pour la perte de l’animal.
- En cas d’attaque par un prédateur : un service de l’état viendra vérifier si l’animal est bien mort suite à l’attaque (et pas pour une autre raison) et vérifiera l’identité du propriétaire grâce à la marque. Celui-ci pourra donc être indemniser pour la perte de l’animal. En Finlande, la plupart des prédateurs (loups, lynx, aigles, gloutons) sont très protégés, le gouvernement indemnise donc les éleveurs en cas de perte.
- Ou encore si des troupeaux se mélangent dans la nature.
Chaque printemps, les naissances agrandissent le troupeau et les petits faons vivent leurs premières semaines collés à leur mère sans aucune identification.
C’est donc fin juin / début juillet que les jeunes rennes vont être marqués pour à leur tour porter la marque de leur propriétaire.
Le saviez-vous ?
En Norvège et en Suède seul les Samis (peuple autochtone de Laponie) peuvent élever des rennes alors qu’en Finlande, l’élevage est ouvert à tous.
Trouver les rennes dans la nature et les rassembler
La première étape consiste à chercher le troupeau qui se trouve éparpillé sur des centaines de kilomètres carrés.
Grâce à l’arrivée de million de moustiques à cette période, les rennes se regroupent en un troupeau (pour se protéger des uns des autres des moustiques). Ce moment dure peu de temps (1 à 3 jours). Les éleveurs profitent donc de ce regroupement pour acheminer leur troupeau sur le lieu du marquage des rennes, dans un grand enclos. Il faut également prêter attention aux températures. En cas de prévision de baisse de températures, il faut vite chercher les animaux car avec le froid, les rennes se déplacent beaucoup plus vite et il est donc très difficile de les rassembler et les emmener à l’enclos dans ce cas-là.
Selon les familles d’éleveur, les moyens sont plus ou moins importants pour trouver les rennes. Je sais par exemple que certains éleveurs font appel à un hélico pour survoler leur zone.
Avec mes amis, on utilise des quads et depuis peu 1 drone (ce qui permet d’économiser du temps, de l’essence, de moins polluer et préserver le sol de traces de quad). Quelques rennes possèdent également un collier GPS. Cela permet de repérer les secteurs dans lesquels ils se trouvent.
Selon les conditions, on peut mettre plusieurs jours pour tous les trouver et parcourir des centaines de kilomètres pour cela. L’été 2018 par manque de moustiques (manque de pluie pendant plus d’un mois), les rennes étaient complètement éparpillés. Une vraie partie de cache-cache !
Sur le lieu du marquage des rennes, il y a un premier grand enclos, celui où l’on met tous les rennes. Puis un second beaucoup plus petit dans lequel on marquera les rennes par petit groupe. On appelle cela le corral.
Plusieurs “nuits” de travail
Le marquage des rennes se réalise plutôt la nuit (si on peut parler de “nuit” vu qu’il ne jamais nuit à cette période…) car il faut que la température ne soit pas trop élevée pour les rennes (et moins de moustique la nuit). Cette année, il ne faisait vraiment pas chaud alors on a pu commencer dans l’après-midi pour finir au petit matin. Il nous aura fallu 2 jours pour marquer tous les rennes. Cela peut prendre plus de temps mais l’organisation de notre groupe et le nombre de personnes présentes sur place ont permis d’optimiser le travail !
Le marquage est également l’occasion de se réunir. Toute la famille est présente et une véritable vie de camp se met en place. Sur place près du corral se trouve plusieurs cabanes, des lavvu pour se reposer, dormir et même un sauna. On reste parfois plusieurs jours sur le camp sans rentrer chez soi, c’est vraiment un moment hors du temps.
Qu’est ce qu’un lavvu ?
C’est une tente traditionnelle qui ressemble à un tipi, utilisé autrefois par les Samis pour suivre leurs troupeaux de rennes. A l’intérieur, on y fait un feu au centre et on dépose des peaux de renne sur le sol. On y est très bien pour se réchauffer et se reposer.
Un marquage des rennes en plusieurs étapes
Le marquage des rennes se fait en plusieurs étapes, que l’on répète plusieurs fois jusqu’à ce que tous les faons soient marqués. J’imagine que cela peut-être un peu différent selon les éleveurs. Je vous explique la façon de faire par chez nous.
1ère étape : Faire entrer un groupe de rennes
La 1ere étape consiste à aller chercher un premier groupe de rennes dans le grand enclos et le faire entrer dans le corral (où ils seront marqués). Pour cela, on utilise les quads, nos voix, de grands gestes (voir des chiens parfois) pour les mener au petit enclos et les faire entrer à l’intérieur. Ce moment est toujours impressionnant à voir (et à entendre) surtout au moment où les rennes arrivent en courant dans l’enclos.
Une fois que le premier groupe est dans l’enclos, on laisse les rennes se reposer. C’est l’occasion pour nous d’aller manger un bout au coin du feu.
2ème étape : identifier et marquer
Ensuite, ce sont surtout les éleveurs qui font le travail pour cette seconde étape. Ils observent chaque faon suivre leur mère, mère qui est déjà marquée. On sait donc à qui appartient chaque petit de cette façon.
Le propriétaire tente alors d’attraper le petit renne avec un lasso de capture et une fois attrapé, il appose sa marque. Durant cette étape, on ne peut pas vraiment aider à attraper les rennes car hormis les éleveurs, difficile de reconnaître la marque de chacun. On vient par contre tenir l’animal pendant le marquage.
3ème étape : numéroter les faons non marqués
Vient alors la 3ème étape : Beaucoup de faons n’auront pas été marqués lors de la seconde étape car la mère n’a pas pu être identifiée (car c’est difficile quand tout le troupeau court dans l’enclos). On doit donc attraper tous les petits non marqués. Et là tout le monde s’y met !
Capture des rennes Perche / lasso de capture
Muni d’un lasso de capture, chacun essaye d’attraper les faons. Même les enfants sont de la partie et ils sont plutôt doués d’ailleurs ! Quand un renne est attrapé, on lui met alors un collier numéroté et on le relâche. On fait ceci jusqu’à ce que tous les jeunes rennes non marqués aient tous un collier.
Nouvelle pause ! Pour que les rennes se reposent dans le corral et nous aussi (souvent pour manger de nouveau !).
4ème étape : Observer et identifier
Les éleveurs vont ensuite retourner dans l’enclos et observer les jeunes rennes avec les colliers pour identifier leur mère. Ils notent alors sur un document chaque numéro de collier et en face le nom du propriétaire. Cette étape est assez longue. Pendant ce temps, on profite de la vie sur le camp ou on se repose.
5ème étape : marquer les faons
On reprend alors le travail et encore une fois, tout le monde s’y met. On doit alors attraper tous les faons numérotés. Lorsque l’on en a un, on crie le numéro inscrit sur le collier. La personne qui a la liste des numéros et noms des propriétaires, crie alors en retour le nom de l’éleveur. On l’appelle à notre tour et il vient pour marquer le renne attrapé et on le relâche. L’incision pour marquer est à peine douloureuse pour le renne. Je pensais que oui au départ mais après avoir tenu des dizaines de rennes entre les mains, peu réagissent à la découpe du cartilage de l’oreille. Le motif est fait avec des couteaux bien aiguisés, avec des gestes précis et rapides.
N’y a-t-il pas d’autres moyens pour identifier les rennes ?
Le marquage des rennes est une méthode ancestrale et c’est la plus fiable. On peut penser à d’autres solutions mais elles ne sont pas adaptées :
- Utiliser des étiquettes d’oreille en plastique ou en métal : ce système n’est pas fiable car elles peuvent se casser (en plastique) ou blesser (en métal) avec le froid extrême en hiver. De plus, on pourrait enlever l’étiquette et la remplacer par une autre facilement si on veut voler un renne alors qu’avec une marque, c’est impossible.
- Mettre une puce : l’inconvénient de ce système c’est qu’il serait impossible de reconnaître un renne à l’œil nu. Il faudrait scanner chaque animal un à un, mission impossible !
- Marquer au fer rouge : cette méthode est très douloureuse (et violente à mon avis), abîmerait le pelage (qui tient chaud à l’animal l’hiver) et la peau de l’animal.
Renne attrapé ! En plein marquage
6ème étape : relâcher le groupe
Quand tous les faons du corral sont marqués, on ouvre alors une autre porte pour relâcher tout ce petit monde dans la nature.
Et on passe au groupe suivant et on recommence toutes les étapes.
Cette année, on a fait 4 sessions comme celle-ci sur 2 jours. Ça en fait des rennes !
Lorsque tous les rennes sont marqués, ils passeront l’été tranquille dans la nature.
Pour aller plus loin et vous plonger complètement dans l’univers des sames, je vous conseille fortement de lire le roman Le Dernier Lapon d’Olivier Truc. Vous trouverez également une liste de livre sur la Laponie dans cet article.
Je ne sais pas si les motifs peuvent se trouver facilement. J’ai vu ceux de mes amis mais publiquement je ne sais pas si cela se trouve.
Merci pour ce beau témoignage. Je retrouve ce que j ai lu dans le dernier livre d Olivier TRUC .. le premier renne
Peut-on trouver des photos des motifs??
Cordialement
Jc
Bonjour Penelope,
Vous avez pas mal d’infos sur la Laponie ici avec des idées de destinations : https://www.je-papote.com/blog-voyage/laponie
Le village du père Noel est touristique mais sorti de Rovaniemi on se retrouve facilement tranquille. Attention aux restrictions en cours pour les francais !
Bonjour,
Merci pour ces informations précieuses.
Quelle partie de la Laponie me recommanderiez vous avec un enfant de 6 ans début janvier? Le village du Père Noël me tente mais je ne suis pas fan du côté trop touristique.
J’aimerai lui faire faire du traîneau également.
Merci d’avance.
C’est déjà passionnant à lire alors à vivre ce doit être un kiff total !
salut Céline !
Ton article est superbe et tes photos sont fantastiques.
Merci pour ce reportage vraiment très intéressant !